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Les notes

19/20 : peut mieux faire !
écrit le 11/11/2015

Depuis la nuit des temps, c'est à dire environ 1984, les magazines de micro testent des jeux en leur attribuant une note. Cette note est le gros morceau de l'article. Écrite en gros, avec souvent un cartouche réservé et un graphisme tape à l'œil. Comme si les sages avaient tranché. Pour ton crime, tu as pris 8/20. Un petit commentaire le précède, au cas où la note en inciterait la lecture. Parfois on n'a même pas droit à une petite photo d'écran pour se faire une idée des graphismes. Parfois, ces mêmes graphismes que l'on voit sont eux-mêmes notés, laminant toute opinion propre du lecteur sur ce qu'il a sous les yeux.

En fait, je hais les notes.

La meilleure de toutes mes notes aura été 13/20. C'était en sciences physiques. Non pas que j'aie été un cancre à l'école, c'est surtout que ce jour-là, c'était la meilleure note de la classe. Mieux que ça : le second avait 10/20 et un bon tiers de la classe avait zéro. J'étais le roi au royaume des aveugles. C'était la première fois que je ressentais ce genre de fierté alors que toute la classe se faisait engueuler. Cette note ne disaient même pas que j'étais bon. Elle disait seulement que j'étais le meilleur. Le meilleur... selon une liste de critères vaguement identifiés et apparemment étrangers aux autres élèves. Ce 13/20 justifiait paradoxalement la colère de la prof de physique, qui devait probablement se poser des questions sur sa pédagogie. C'était aussi un peu sa note à elle. Comme quoi, cette note ne disait pas grand chose. C'est très con une note. C'est un simple chiffre qui résume beaucoup de paramètres. Souvent même des paramètres qu'on ne pensait pas noter.

C'est typiquement culturel. "Tu seras ingénieur, mon fils". C'est vrai : à l'école, depuis que je suis petit, on me dit que si je travaille mal à l'école, je serai éboueur ou caissier de supermarché. Il n'y a pas de sot métier, mais quand même, pas pour moi ce métier... Quelle honte ce serait ! Je n'étais pas dans les plus bosseurs, mais quand j'avais une très mauvaise note, je le vivais mal. Lorsqu'elles s'accumulaient, ça frisait à l'inquiétude. J'étais conditionné par le système, j'avais bien appris cette leçon-là, au moins celle-là. J'avais bien compris que cette note parfois arbitraire était garante de mon avenir. J'avais bien compris qu'il m'était impossible de m'extraire de cette opinion tranchée, de m'évaluer par rapport à moi-même, à ce que j'aimais. Non, je valais 13/20 ce jour-là.
L'une des 2 notes correspond à Gryzor, l'autre à Gauntlet II. Devinez lesquelles...

Trente ans après, j'ai compris qu'on m'avait menti. Encore un paramètre qui n'apparaissait pas dans la note. C'est certain, les critères pour aimer un jeu en 2014 sont certainement très différents de ceux qu'on aurait pu avoir 30 ans plus tôt. Pourtant, une seule et même note le racontera. Le monde de la finance est d'ailleurs confronté à ce même problème : ce que vaut un dollar sera peut-être différent demain de ce qu'il vaut aujourd'hui... soit parce qu'on en imprimera d'autres, soit parce que la Chine se débarrassera des siens, soit parce que la confiance dans les USA tombera, soit parce qu'une guerre réduira à néant tout échange monétaire avec ce pays, soit encore parce que l'économie de tous les autres pays s'effondrera, ou encore parce que le papier deviendra une denrée rare... mais on me rassure vite : demain, un dollar vaudra toujours un dollar. Ah, je suis rassuré, demain, je vaudrai toujours un Supersly. Mais va payer tes impôts en "Supersly"...

Peut-être parce qu'on s'habitue. On s'habitue à être un numéro soi-même. On a tel salaire, ça vaut tant. Demandez à quelqu'un son métier, il répondra "ingénieur" en bombant un peu le torse ou "j'ai un boulot alimentaire" avec une mine déconfite, et dans les 2 cas vous n'aurez aucune idée du quotidien de la personne, vous ne connaîtrez pas son métier, juste la note qu'il s'est attribuée lui-même. D'ailleurs, c'est tellement vrai que si vous postulez à un emploi et demandez un salaire trop bas, on vous jettera comme une marchandise à bas coût. L'employeur ne veut pas d'un employé trop cher, mais il ne prend pas non plus du bas de gamme... et rien de tel que le prix pour évaluer la qualité d'un candidat.

C'est d'ailleurs comme ça que se positionnent les produits qu'on achète, en-dehors de toute considération. On peut le tester, le goûter, certes, mais finalement, la musique sera toujours un peu plus belle si l'ampli est plus cher, la recette plus noble si les biscuits sont plus coûteux. C'est si bien connu que la détermination du prix d'un produit est un pan complet de l'étude marketing d'un produit. Le prix n'a évidemment rien à voir avec le prix de revient, mais l'imaginaire continue de le croire. C'est tellement vrai que si on vous vendait une voiture la moitié de son prix, vous suspecteriez un défaut caché... et puis le prix que l'on est prêt à mettre dans un achat, c'est aussi se rassurer soi-même sur son propre statut social : je ne suis pas ingénieur pour acheter des produits de "boulot alimentaire". On affiche un vêtement, une voiture, pour le prix qu'ils représentent. Un peu comme si on voulait se coller une étiquette de prix à l'oreille. Un peu comme les vaches qui partent à l'abattoir avec un code-barres d'identification. La traçabilité des humains se fait par une note, un prix. C'est ce qui définit notre label : on a tous un prix.

Les jeux aussi ont un prix. Mais leur valeur n'est pas contenue dans le prix : seulement dans la note. C'est la note qui apporte à son jeu sa notoriété avant qu'il ne soit acheté.

Ce jour-là, ma prof valait 13/20. Car elle notait des choses vraiment très floues. Elle s'était sortie du podium par nos résultats. Les notes sont finalement un palmarès : il y a toujours un premier et un dernier. L'idée est parfois de dire que truc est mieux que bidule, histoire de quantifier des choses inquantifiables. On ne se gêne donc pas non plus pour décerner des César, des Oscar, des prix Goncourt, des étoiles Michelin... Comment noter la qualité d'un livre ? d'une gastronomie ? d'une chanson ou d'une poésie ? Pourquoi Baudelaire a-t-il eu droit à améliorer sa note 2 siècles après sans changer une virgule, ni même corriger son vieux français ? Comment la BD peut-elle être devenue un pilier de l'art alors qu'elle était ridiculisée quelques années auparavant ? Comment peut-on attribuer un prix de vente à une œuvre d'art ? On ne va quand même pas s'abaisser à estimer le temps passé dessus ? Mais si, madame le professeur de physiques : je vous assure que j'ai travaillé longtemps sur ce devoir ! Mais si, cher client, ce jeu nous a demandé un long labeur, achetez-le cher.


Mieux que Gryzor, Arkanoid et SRAM réunis : 3D Grand Prix ! Ça dégomme sa race, non ?

C'est ainsi que depuis des décennies, on perpétue des traditions. Sur CPC, on vote pour la meilleure démo, le meilleur graphisme, la meilleure musique. Et pire que tout, maintenant, sur certains sites, on peut même lire des articles de gens qui attribuent des notes aux jeux 30 ans après. Pire : on peut attribuer soi-même des notes aux jeux ou démos que l'on télécharge ! Chacun ayant ses propres critères, personne ne sait ce qui est noté : l'impression graphique ? le gameplay ? la petite larme nostalgique ? un encouragement ? gonfler la note trop basse qu'a mise un autre ? encourager l'auteur ?

Et puis en meeting, lors de compétitions plus ou moins formelles, on décerne des prix attribués sur la base d'un vote. À défaut de mettre une note, on se contente ainsi de ce fameux palmarès. On regrette déjà le "Tout le monde a gagné" de Jacques Martin le dimanche après-midi... Un podium peut se comprendre dans des disciplines encadrées comme les Jeux Olympiques, et encore, on crie à l'injustice parce que untel a trop de testostérone pour concourir dans la catégorie féminine et ainsi de suite... Quand ces vainqueurs sont élus par un jury, on crie à l'opacité des choix, à l'injustice ; quand on les détermine par vote, on constate que le grand gagnant n'est, au mieux, crédité que par la minorité convergente. Mais le choisir est ainsi "démocratique" ! On a donc aujourd'hui un président en qui seulement 1 français sur 6 a confiance !

On peut trouver sur Pouet des démos ayant tout simplement révolutionné l'état de l'art et ayant une note pourrie, parce que les visiteurs ne notent que les dernières sorties. Les démos qui parlent d'Amiga ou de bière récupèrent tout de suite des points. C'est drôle d'un côté. Mais d'un autre côté, c'est si réaliste, ça ressemble tellement à la vraie vie : on troque son opinion contre un truc facile à ranger. Nous jouons à répéter le schéma aliénant qui nous fait croire que la démocratie se résume à un vote.

C'est pourquoi je ne mets pas de note sur ce site. À la rigueur, il m'arrive de participer au choix d'un vainqueur lors d'événements pour ne pas jouer le trublion de la fête. Mais même là, j'ai le sentiment de jouer un jeu qui n'est pas le mien. Il m'arrive de voter blanc ou nul, pour une production qui n'a pas été présentée par exemple.

C'est aussi pourquoi je suis parfois mal à l'aise lorsque des gens me demandent si leur gfx apparaîtra dans "mon" musée. Je me garde bien d'orienter les trophées. Je donne mon avis, je l'argumente autant que possible, mais je ne souhaite pas que ce musée devienne une galerie de ce qu'il faut faire. Idéalement, il faudrait que d'autres aient aussi ce genre d'initiative histoire de contrebalancer mes mises en avant, forcément très subjectives. On appellerait ça le "pluralisme".