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J'ai tenté de compter les couleurs sur cet écran détérioré : presque 8 ! C'était ma vision d'avenir du CPC... mieux que le flipping, le flou des photos d'écrans ! |
Parfois même avant d'avoir acheté un CPC, chacun de nous a bavé sur les photos de jeux vidéo qui étaient montrées dans des magazines. Ces photos pas toujours nettes étaient un vecteur de fantasme. Je me rappelle avoir un jour essayé de comprendre comment l'image de Tank Command ou celle d'Oxphar étaient possible sur un CPC. En fait, la photo de l'écran n'était pas assez précise pour permettre d'en voir les détails et comprendre les trames en mode 1. J'ai fantasmé en essayant de compter les couleurs, j'en comptais pratiquement 8 ! C'était sublime.
Aujourd'hui, la chaîne graphique s'est raccourcie : les photos d'écrans sont faites à partir d'émulateurs, et l'image "lisse", "parfaite" est directement mise en page dans un logiciel, lui-même numérique, le tout étant parfois même diffusé en PDF : chaque pixel est resté numérique de bout en bout de la chaîne.
En 1985, tout cela n'existait pas. D'une part, on n'avait pas d'émulateur. Mais aussi, la mise en page se faisait généralement avec de la colle et des ciseaux. Et les photos d'écran ? Et bien c'était des photographies d'écrans faites avec un appareil photo argentique ! Rien n'était numérique dans l'histoire à part le CPC.
Je vous propose ici d'apprendre à faire des photographies de votre écran, "à l'ancienne". Un article qui sent bon le terroir, le "c'était mieux avant" et le travail bien fait.
1- Écran : notions générales
L'écran du CPC, comme tous les écrans fonctionne à partir de la synthèse des 3 couleurs RVB. L'écran du CPC a cependant une qualité que nous perdons avec les écrans plats : la synthèse est d'assez bonne qualité. Les écrans cathodiques ont cet avantage que les normes choisies à l'époque de leur invention donnent un très bon éventail de couleurs. Notamment, on a un bleu très profond (fréquence assez élevée) et des rouges très purs. Les nouveaux écrans semblent utiliser une marge de tolérance sur ces couleurs amenant à des résultats beaucoup plus hétérogènes d'un écran à l'autre. Je parle par expérience de visu, en faisant notamment des tests sous Photoshop, mais je ne me base sur aucune documentation technique.
L'autre élément, qui cette fois est un "inconvénient" à contourner, et qui n'apparaît plus sur les nouveaux écrans, c'est le balayage. Les images sont constituées par un faisceau d'électrons balayant l'écran, faisant réagir des photophores qui deviennent lumineux. La lumière n'est produite qu'un instant, elle se prolonge légèrement de par la phosphorescence du tube cathodique, puis c'est la persistance rétinienne qui fait le reste pour ressentir une image uniforme. Ce balayage dure 0,02 secondes, il faudra donc une photo qui dure au moins aussi longtemps pour capturer l'image complète. Si la photo ne dure que 0,01 seconde, alors on ne verra sur la photographie que la moitié de l'image. Mais si la photo dure 0,03 seconde, alors on risque d'avoir une partie de l'image plus exposée que l'autre. Mais nous y reviendrons.
2- Photographie argentique : notions générales
En photographie, il existe 3 réglages importants qui peuvent déterminer l'exposition d'une photographie (ou son éclairement) :
1- Le temps d'exposition :
Cela correspond au temps pendant lequel on laissera la lumière entrer dans l'appareil photo pour impressionner la pellicule (ou le capteur). C'est l'obturateur qui, lorsqu'il est ouvert, laisse entrer la lumière. Si on laisse ouvert pendant 1 seconde, on aura 2 fois plus de lumière qui si on laisse ouvert 1/2 seconde. C'est simple, logique, mathématique.
Ce paramètre changera la photo en influençant le "flou de mouvement". Si l'objet photographié bouge pendant l'ouverture, alors il sera flou. On peut mesurer le déplacement de l'objet en mesurant la longueur du flou.
Dans notre cas, il faudra simplement trouver une vitesse assez lente pour capter au minimum un balayage complet. Comme la valeur 1/50 existe rarement sur les appareils photo, je suggère de prendre plusieurs balayages. Ainsi, il y aura moins de différence avec une zone exposée par un balayage de trop. Si vous prenez 10 balayages "environ", alors il se peut qu'une zone de l'écran affiche un 11ème morceau de balayage. On aura ainsi une erreur de 10% sur cette zone de l'écran, ce qui n'est pas dramatique (moins que si on avait pris seulement 1 balayage).
Naturellement, en fonction du temps d'exposition, il faudra jouer sur les autres paramètres pour avoir une photographie bien exposée.
2- Ouverture :
L'ouverture est le réglage de diaphragme. C'est un petit numéro qui est généralement affiché autour de l'objectif sur les anciens appareils. On a les valeurs ... 1,4 / 2 / 2,8 / 4 / 5,6 / 8 / 11 / 16 / 22 / 32 ... D'une valeur à la valeur suivante, si vous restez ouvert la même durée, l'image recevra 2 fois moins de lumière. En face de ce chiffre, on trouve la lettre f, mais la focale veut dire autre chose (trop compliqué ici). Le tout se note par exemple f/2.8, mais on parle bien de l'ouverture du diaphragme.
L'importance de ce paramètre est plus subtil : lorsque l'ouverture est grande (donc petit chiffre), ce qui est avant et après le point focal (le machin qu'on veut net et sur lequel on fait la mise au point) sera très flou. Inversement, si le chiffre est grand (petite ouverture), on aura des premier et arrière-plans moins flous. C'est ce qu'on appelle la "profondeur de champ".
Dans notre cas, il nous faudra une profondeur de champ juste assez bonne pour compenser les 1 ou 2 centimètres de courbure de l'écran. Mais qui peut le plus peut le moins.
- (Focale) :
J'en parle ici car il est indissociable de l'ouverture. Généralement, on ne peut pas le régler. Il correspond à ce qu'on appelle parfois abusivement le "zoom". Une longue focale permettra de "rapprocher" l'élément photographié, alors qu'une courte focale l' "éloignera". Ce paramètre influence la profondeur de champ mais pas la lumière (je simplifie un peu).
Si on a le choix, je recommande de prendre la focale la plus longue possible, 80mm étant très bien, 135 étant l'idéal. Au-delà, c'est cher et on ne gagne plus tant que ça. Une longue focale obligera à reculer l'appareil photo de l'écran pour l'avoir en entier, et réduira ainsi les déformations dues à la courbure du tube cathodique.
3- Sensibilité :
Sur les nouveaux appareils, ce n'est qu'un réglage à tourner, mais sur les appareils photo argentiques, il s'agit en fait du choix de la pellicule. Plus une pellicule est sensible, moins elle a besoin de lumière pour avoir une exposition identique. Un film de 100 ASA (ou ISO, c'est pareil) aura besoin de 2 fois plus de lumière qu'un film de 200 ASA. Par contre, la contrainte, c'est que le film plus sensible aura des défauts plus marqués, dont les plus connus sont le grain et le respect des couleurs. L'autre défaut (qui est paradoxal), c'est qu'un film très sensible ne réagira qu'avec un minimum de lumière, un film peu sensible réagira certes moins vite, mais il sera capable d'enregistrer des lumières beaucoup plus ténues. C'est avec les films les moins sensibles qu'on peut le mieux photographier une scène fixe dans l'obscurité.
Dans notre cas, comme on a tout notre temps, et qu'on veut de bonnes couleurs, on utilisera un film peu sensible. Il sera moins cher et de meilleure qualité. 100 ASA suffiront, maximum 200 ASA.
- Précisions sur le numérique
Comme nous l'avons vu, les écrans cathodiques fonctionnent avec des couleurs RVB. Les pellicules photo aussi, et les appareils photo numériques aussi. Toutefois, de nombreux appareils photo numériques ne captent pas les mêmes RVB que ceux émis par l'écran. Cela pose un très sérieux problème de respect des couleurs. Je n'ai pas eu l'occasion de tester des appareils vraiment haut de gamme pour tester cette fidélité des couleurs, mais à titre d'exemple, absolument tous les appareils compacts que j'ai testés avaient de mauvais résultats. Lorsqu'il s'agit de photographier des objets de couleur, les problèmes se posent moins, dans la mesure où l'onde émise par l'objet représente un spectre très large. Mais sur un écran qui synthétise des couleurs, le spectre émis est représenté par des raies assez fines. Il y a peu de chance que ces "raies de couleur" correspondent exactement à celles vues par le capteur numérique. Ces problèmes ne sont pas toujours possibles à retoucher.
En argentique, par contre, on a d'une part le choix de la pellicule, d'autre part, la sensibilité aux couleurs semble plus naturelle. Elles semblent en tout cas mieux correspondre aux couleurs des écrans cathodiques.
3- Les réglages
Maintenant que vous avez de vagues notions de photo, nous allons tenter les réglages pour ne pas tomber dans des pièges classiques dans ce genre de photo.
1- Le pied :
Il est absolument indispensable de poser l'appareil photo sur un pied. À défaut, il est possible de poser l'appareil sur une pile de livres, mais il est plus délicat d'avoir un cadrage précis de cette façon. Faites bien attention à ce que l'appareil soit horizontal, sinon, vous risquez des parallaxes qui donneront un écran trapèze sans que vous n'y prêtiez attention. C'est aussi un moyen de gagner du temps sur le réglage du pied : on règle ensuite la hauteur, et on cadre en déplaçant le pied.
2- L'obscurité :
Ce que l'on souhaite photographier a la particularité d'émettre sa propre lumière. Il est donc très important, pour mettre en valeur cette lumière, de n'avoir aucune autre lumière qui constituerait un parasite. Le flash est donc bien évidemment à proscrire, mais aussi, il est important de faire la photo et les réglages dans le noir (ou une forte obscurité). À moins évidemment que vous ne souhaitiez que l'on voie le bord de l'écran, mais dans ce cas, je vous conseille la pénombre, et je vous laisse le plaisir de découvrir vos propres réglages d'exposition (pasque bon, j'ai pas que ça à faire non plus !).
3- Le cadrage :
Une erreur assez fréquente lorsque l'on photographie un écran est de se croire en face et de ne pas l'être. Comment est-ce possible ? Tout simplement parce qu'on est habitués à reconstituer mentalement l'image de face. Pour éviter cela, il est impératif de se caler uniquement sur les bords de l'image. On compare les 4 côtés de l'écran à ceux du viseur de l'appareil photo. Cela permet de s'assurer d'être absolument face à l'écran, mais aussi d'être centré. De plus, il est bon pour un meilleur cadrage de savoir que le viseur ne vise qu'une partie de ce qu'on aura sur la photo : selon l'âge de l'appareil, l'image du viseur ne couvre que 80 à 95% de l'image photographiée. Ne pas hésiter à resserrer un peu le cadrage dans ce cas.
4- Réglages de l'écran :
Réglez l'écran de telle façon que le gris vous semble gris, le noir vous semble noir et le blanc vous semble blanc. C'est assez vague, mais cela veut dire qu'il faut éviter d'avoir une image trop saturée vers les blancs, ni trop sombre. Fort heureusement, le contraste de l'écran du CPC n'amène pas de saturation dans les blancs si le noir est bien réglé. Il faut chercher le réglage où les couleurs s'expriment le mieux. Mais avant de mettre l'image que vous souhaitez photographier, je vous suggère de mettre l'écran en gris (13), ce qui facilitera les réglages. En effet, on pourra de cette façon caler les réglages sur le gris, puis charger l'image, et enfin prendre la photo, sans changer les réglages.
5- Réglage de l'appareil :
C'est ici la partie délicate. D'un côté, il est bon de savoir que plus le diaphragme est fermé, meilleure sera la photo, et moins graves seront les erreurs de mise au point. Ensuite, plus lente sera la photo, moins les approximations sur le dernier balayage interrompu se verront. Toutefois, il ne faut pas aller dans les extrêmes, et un diaphragme trop sombre pourrait emmener la pellicule dans une zone très sombre qu'elle couvre moins bien. Et aussi, plus la prise de vue est lente, plus on prend le risque qu'un événement extérieur à la photo fasse bouger l'appareil.
On utilise généralement la vitesse de 1/15 seconde, ce qui fait entre 3 et 4 VBL. Il ne faut surtout pas aller en-dessous. Pour une image en flipping, naturellement, il est bon de doubler (1/8 minimum). Mais on peut réellement aller jusqu'à 2 secondes et au-delà si le besoin s'en fait sentir. Le diaphragme peut être maintenu à 8 ou plus. La correspondance entre ces valeurs se fera par la cellule. Elle dépendra évidemment du réglage de contraste du moniteur du CPC.
Un réglage cohérent sur mon écran :
Film : 100 ASA
diaph. : 8
exp. : 1/2 seconde
Naturellement, si cela peut être une base de départ pour vous, votre réglage sera forcément différent, dans la mesure où la luminosité de votre écran est nécessairement différente du mien.
6- La prise de vue :
Afin de ne surtout pas bouger l'appareil photo, je conseille 2 alternatives : soit posséder un déclencheur souple (ou à distance, quel qu'en soit le procédé), soit utiliser le retardateur, qui prendra la photo sans avoir à toucher l'appareil. Je préfère cette dernière option. Mais si vous choisissez un temps de pose trop long pour votre appareil, il faudra alors utiliser la pause B, qui permet de rester ouvert le temps pendant lequel on appuie sur le déclencheur. Dans ce cas, le déclencheur souple reste la meilleure option, surtout qu'on y propose souvent une pause T, qui s'ouvre et se ferme à chaque appui (utile sur les pauses très longues).
Une dernière option, si vous avez des problèmes de choix de vitesse, est de laisser l'obturateur ouvert (pause T, si vous l'avez) et de programmer le CPC pour que l'image ne s'affiche que le temps voulu. Vous serez ainsi certain d'avoir exactement le nombre de frames complètes que vous souhaitez. Calez le nombre d'images par rapport à ce qu'indique la cellule. Par exemple, pour 1/4 seconde, cela fait 12 ou 13 VBL. Vous ouvrez l'obturateur, lancez l'image, et refermez l'obturateur quand l'image a disparu : même s'il s'est passé 5 secondes, le noir de la pièce n'aura pas influencé la photo.
Papier ou diapositive ?
Tout dépend évidemment de l'usage que vous pensez en faire. Toutefois, lors du développement, il y a bien une chose que vous devrez savoir : Une diapositive est développée dans le noir absolu du début à la fin du boulot, aucun opérateur ne risque de retoucher votre travail. Au contraire d'un tirage papier, ou seul le négatif est conforme à ce que vous souhaitiez. L'étape de tirage papier depuis le négatif subit généralement une correction d'exposition. Cela veut dire que les photos jugées trop sombres sont "rehaussées", et celles jugées trop claires sont atténuée. Les machines sont réglées sur "photo peut-être ratée", et les photos qui sont sombres à dessein sont ainsi rehaussées. Le problème, c'est que les images sur CPC ont souvent des grandes zones noires ou blanches, et que donc elles risquent d'être modifiées, les noirs devenant gris foncé ou les blancs gris clair. Pour éviter ce genre de problème, discutez-en avec votre laboratoire, qui pourra en tenir compte s'il est un peu pro (même pas beaucoup) et fait ses tirages sur place.
Personnellement, c'est pour cette raison (et parce que c'est moins cher) que je fais des diapositives depuis aussi longtemps : on a notre vrai résultat, nos vraies erreurs, mais aussi nos vraies réussites.
Et puis la photo, c'est quand même un sacré moyen de faire passer une flashouille sans faire mal aux yeux !
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